Ses jambes commençaient à trembler, mais Coban ne voulait pas montrer qu'il avait peur. Montrer sa peur avait toujours procuré une certaine satisfaction à ses ravisseurs, depuis il s'efforçait de paraître plus courageux qu'il ne l'était réellement. Mais en voyant ces lignes noires monter -c'est d'ailleurs quand Drey voûta son dos qu'il remarqua l'effroyable balafre- et prendre possession du corps de la jeune femme, Coban ne pouvait pas cacher qu'il était terrorisé. La tension montait. Les nuages laissèrent la lune briller à travers les sombres feuillages. Un nouveau vent frais passa et le jeune garçon eut complètement la chair de poule.
-D-Drey... Qu-qu-qu'est-ce qu'y t-t'arrive?!

L'enfant-fée bégayait souvent quand il était intimidé ou quand il paniquait, un peu comme Lankouëch... Sauf que lui, ce n'était pas maladif, mais seulement quand il était réellement incapable de regarder quelqu'un plus de cinq secondes. Or, là, c'était le cas.
-Je ne veux aller nul part... Mais toi, tu devrais.

À la vue de ses lignes noires, son cœur lui hurlait de partir et ses jambes étaient prêtes à le faire détaler comme un lapin... Ou presque, si elles ne tremblaient pas autant. Voyant son regard se recouvrir de ces lignes, plus glacial que jamais, il recula de plus en plus vite, il allait fuir. Il prétexta juste:
-T-très bien! J-j-j'te laisse tranquille j'y vais!

Puis il se retourna, courut puis trébucha dans la pente, redescendant de quelques mètres. Ses genoux et ses mains lui faisaient encore plus mal désormais. Mais il ne se laissa pas démonter et prit son envol pour arriver jusqu'en haut de la pente. Il aurait pu fuir rapidement vers le château de la sorte... S'il n'avait pas volé toute la journée.

Le rire dément de Drey s'évanouit et une épaisse fumée noire se déplaça à côté de Coban qui sentit quelque chose pour une fois, dans son dos. Ce n'était pas Drey. Ça ne pouvait pas être elle.
-Je sais que je t'ai dit de t'en aller, mais en général quand on voit quelqu'un en difficulté on ne reste pas pour l'aider ? Je sais que je suis pas un exemple en la matière, mais bon... Ça m'aurais évité d'avoir a te courir après...
-Wooh put..!!!

L'embryon de juron partit en même temps que l'enfant-fée se retournait dans un sursaut qui faillit lui faire perdre l'équilibre. Mais alors qu'il retrouvait un peu de stabilité, ses jambes se dérobèrent sous lui et il tomba d'abord à genoux puis glissa sur le côté. Face à ce gros nuage noir, Coban poussait avec ses pieds pour reculer le plus possible, le temps que ses bras retrouvent la force de le relever. Mais ses mouvement ralentirent face à ce qui se déroulait sous ses grands yeux noirs ébahis... Le corps de Drey se recomposait, comme s'il sortait tout simplement du sol. Et elle se retrouva debout, face à lui, le regardant de haut. Son sourire était plus effrayant encore que lorsqu'elle ne souriait pas du tout.

Coban se releva, tremblant de tous ses membres. Allait-il subir pire qu'une greffe sans anesthésie quelconque? En tout cas, il n'avait aucune envie de le vérifier. Il recula. Ce qui se passait était bien trop surnaturel pour que ce soit quelque chose de bon. Il eut une vive pensée pour sa grande sœur et les crises de personnalité qu'elle était capable de faire, même si là, c'était bien plus impressionnant. Il y avait semblait-il deux entités dans un même corps, ce qui n'était pas le cas de sa sœur aînée.
-Alors, tu veux pas jouer un peu avec moi ?
-J-Je croyais que tu voulais que je te laisse tranquille! Drey!
-Que pense-tu d'un trap-trap ? Si je t'attrape, tu es a moi ! je te laisse... Une trentaine de seconder d'avance !
-N... Drey! Qu'est-ce qu'y t'prends?! Arrête je veux pas..!

Mais elle commençait déjà à compter. Coban fronça les sourcils. Même si il était essoufflé, il allait le faire. Il allait courir. La vitesse, ça le connaissait. Enfin là, il n'était pas en forme. Mais il se mit à courir comme un fou en direction du château, sans oublier bien sûr, qu'elle pouvait se déplacer en un rien de temps sous la forme d'un cumulus grisâtre. Quand ses genoux lui faisaient trop mal, il sautait, battant de très vifs coups d'ailes, rasant presque le sol. Puis il recommença à courir, courir encore.

Puis il fit un pari complètement fou. Alors qu'il n'avait parcouru que la moitié de la plaine pour atteindre le château, et sentant qu'il n'avait plus beaucoup de temps, il sauta une nouvelle fois, et se retrouva par quelques battements d'ailes au sommet d'un arbre. La lune éclairait derrière lui, ne laissant voir du garçon que la silhouette d'un enfant recroquevillé, de grandes ailes de chauve-souris déployées... Il se sentait plus en sécurité, même si une profonde angoisse était toujours présente. Il n'avait aucune idée de ce dont était capable Drey quand elle était dans cet état, et lui même était épuisé. Il allait devoir se servir du terrain sur lequel il se trouvait pour se débrouiller. Il dit à voix basse:
-On va voir ce que tu vaux dans les feuillages, contre ma nouvelle vision...

Tout à coup, les ailes l'enveloppèrent, et il n'était plus visible au sommet de l'arbre...

Coban patienta jusqu'à la fin du décompte pour récupérer son souffle. À dire vrai ce n'était vraiment pas beaucoup. Mais il parvint à se calmer pour faire disparaître le son de sa respiration.
-...vingt-neuf... trente ! Attention, le loup arrive ! Hahaha !

Coban eut un nouveau coup de stress, mais il savait tout de même qu'il était dans le noir complet. Il l'entendit arriver...
-Tu m'échapperas pas en montant dans cet arbre mon grand !

Il patienta... Forçant ses ailes à n'émettre plus aucune lueur. Avec la capacité de voler, c'était la seule chose qu'il arrivait à faire en tant que demie-fée. Un détail qui le frustrait sérieusement mais auquel il s'efforça de ne plus penser. Il écarta légèrement les ailes pour observer. Drey était bien parvenue à atteindre le sommet de l'arbre dans lequel il se trouvait toujours... Car oui, le garçon ailé y était encore. La jeune femme aurait pu sauter sur chaque branche, elle n'aurait sentit que les doigts osseux des ailes de Coban, grâce auxquels il était suspendu, comme une authentique petite chauve-souris, recroquevillé et caché sous ses larges ailes noires.

Quand Drey atteignit le sommet, l'enfant-fée se décrocha dans un léger bruissement de feuilles pour aller très vite dans un autre arbre, en passant par l'ombre du dernier. Le but étant de fuir en toute discrétion, même si le bruissement émis dans l'arbre précédent pouvait avoir tout gâché. Ou alors elle penserait peut-être qu'il y était toujours justement? En attendant de voir si la semi-démone comprendrait, car pour l'heure Coban ne pouvait plus bouger de sa nouvelle branche, il demeura immobile pour récupérer un peu de souffle...

Il la sentit s'agripper à lui. Sur le coup, il ne put s'empêcher de hurler, un cri strident. Elle le tenait tout entier dans ses bras ce qui l'empêcha de déployer ses ailes dans lesquelles il était encore enveloppé. Sa tête en sortit mais il ne put rien faire pour ses bras. Le garçon s'était stupidement coincé dans son propre piège.
-On va bien s'am-mu-ser ! Comme stipulé dans les règles du jeu, tu es a moi !

Coban sentit sa respiration s'accélérer, il lança un regard suppliant au démon, comme si il suppliait Drey au fond pour qu'elle revienne. Le corps de cette dernière sembla l'entraîner dans une chute stoppée au dernier moment. Coban n'avait jamais eu peur du vide. Mais là, c'était différent. Le démon allait-il le laisser chuter sans qu'il ne puisse déployer ses ailes à temps? Tandis que l'angoisse montait chez lui, le démon sauta finalement avec lui et se réceptionna à merveille.
-Qu... Qu'est-ce que t-tu vas faire de m-moi?!
-Maintenant on..

Coban arqua un sourcil. Quelque chose n'allait pas non plus chez le démon. Sauvé? Peut-être pas tout de suite. Coban tenta de se dégager puis le démon finit par le lâcher. Il recula, regardant le corps de la jeune femme s'effondrer. Les lignes disparurent ainsi que ce sourire sadique. Mais il gardait une certaine peur de ce qui venait de se passer. Il resta loin et continua même à faire quelques pas en arrière. Voyant la nouvelle expression de douleur qu'arborait Drey, Coban s'arrêta, il était à quelques mètres d'elle, haletant encore.

La jeune fille se remit à bouger, qui fit légèrement sursauter Coban. Ce dernier recula encore de quelques pas, les dents serrées. La voilà qui se relevait... Le jeune garçon se retourna vers le château et commença à s'y diriger... Seulement, il était si fatigué qu'il en eut la nausée, comme si chaque pas qu'il faisait finiraient par le faire vomir.
-Dis... S'qu'y s'est passé..?

Il tressaillit et s'arrêta de nouveau puis lui fit face, la regardant d'un air moitié apeuré, moitié colérique, de toutes petites larmes perlant au coin des yeux. En effet, elle semblait le prévenir au début, le faisait marcher sur certaines choses puis s'était rapprochée pour lui parler ou l'écouter, c'est à ce moment là que le démon avait frappé. Il avait perdu toute confiance d'un coup... Toute? Drey se releva, avec difficulté, mais elle tenait debout. Coban prit peur mais essaya tout de même de rester et de parler le plus fort possible, même si dans son état, cela représentait un certain effort. Sa voix faiblissait à chaque fin de phrase.
-Bouge plus! T'a...T'approche pas..!

Il souffla une nouvelle fois, reculant encore une fois la fixant dans les yeux pendant un moment. Elle avait l'air fatiguée... Mais pas comme lui. Comme quelqu'un sortant d'un sommeil profond...
-À quoi tu joues..?! Qu'est-ce que tu compte me faire..?

Il commença à se dire que si elle faisait à nouveau une crise, il n'aurait plus moyen de se sauver. Il valait mieux partir maintenant, tant qu'elle était encore dans cet autre état... Celui dans lequel il l'avait rencontrée. Tout se mélangea dans sa tête. Si même les personnes qui avaient un vécu similaire au sien voire bien pire devenaient des monstres, dans quel monde allait-il vivre? Qui devait-il suivre? Allait-il devenir fou? Même auprès de personnes proches, il s'était fait attraper. Pourtant, il avait toujours vécu en forêt et rien ne lui était arrivé en 11 ans de vie. Drey avait raison, ce monde était vraiment peuplé de personnes imprévisibles et dangereuses. L'enfant-fée ne voulut pas montrer qu'il commençait à pleurer pour de bon à cause de cette désillusion à laquelle il refusait de croire. Il tourna brusquement le dos à la semi-démone et lâcha d'une faible voix:
-Laisse moi.

Puis il s'éloigna à pas lent...

Il aurait tant aimé pouvoir courir ce moment là. Surtout si ça lui aurait évité d'entendre ce cri déchirant, aussi bien pour son cœur que pour ses tympans. Pour commencer, elle lui avait tout de même presque supplié de lui répondre et il lui tournait déjà le dos. Il l'entendit alors chuter et ce cri abominable se fit entendre. Comme un réflexe, Coban serra sa main sur ses vêtements à l'emplacement de son cœur et en serrant les dents, parce qu'il s'en voulait à mort de ne pas se retourner vers elle et lui expliquer, juste parce qu'il pleurait et n'avait aucune envie de le montrer à la jeune femme.

Il essaya une nouvelle fois de courir vers le château pour traverser la plaine plus vite mais la nausée le rattrapa de nouveau et il ne trouva qu'une solution: se cacher discrètement dans l'ombre d'un arbre, s'y poser, et tenter de remettre les choses à plat. Déjà, il aurait dû rentrer depuis longtemps et de plus il était épuisé à tel point que ses nerfs avaient fini par lâcher prise. Il essaya de résoudre le problème en soufflant longuement, en s'essuyant rapidement les yeux, en tentant de faire le vide... Ce n'était pas encore gagné mais il y avait du mieux, ses larmes ne coulaient plus.
Ensuite, il y avait Drey. L'élément incongru de la soirée qui l'empêchait de rentrer ou l'y poussait il ne savait pas trop.

L'enfant-fée avait encore en travers de la gorge ce qui avait failli arriver c'est à dire... Lui-même ne savait pas et n'avait aucune envie de savoir. Peut-être que cette fille jouait la comédie pour l'attirer dans ses filets aussi! Non... Ce cri était décidément trop réel pour être joué. Le jeune garçon se posait milles interrogations dont la première était:
-... Si j'y retourne... Est-ce qu'elle va me bouffer?

Un sourire naquis sur ses lèvres; en effet c'était plutôt ridicule. Il leva la tête vers la lune qui se dégageait lentement... Puis se releva, décidé à aller la voir. Drey pouvait si elle levait la tête, voir une petite ombre humanoïde se détacher de celle d'un saule pleureur, puis demeurer immobile. Coban ne savait plus où il en était. Il désirait au fond de lui se retrouver propre dans le lit que Lankouëch lui prêtait le temps qu'il aie des nouvelles de ses parents. Mais il trouvait cela trop égoïste face à une personne qui apparemment vivait dans une forêt. Alors il avait quand même envie de l'aider si vraiment elle en avait besoin. Seulement il la craignait, même si il avait un peu de mal à se l'admettre. Donc il se contentait de la fixer... Si elle tenait vraiment à savoir, elle devra venir lui demander une nouvelle fois...

Coban parut imperméable à ces paroles aiguisées. Il trouvait que Drey était pleine de contradictions parce que déjà, elle lui parlait de beaucoup de chose sur elle d'une seule traite, alors qu'au début elle semblait ne vouloir parler que par énigmes. Ensuite elle lui avait demandé de fuir et le traitait maintenant de froussard stupide et imprudent... Si il avait su, il serait rentré tout plein de terre chez Lankouëch, la conversation aurait été désagréable mais bien moins tendue.
Bref, sa réaction l'énervait, mais il s'appliqua à jouer le même jeu que la jeune femme; ne rien laisser paraître. Il pensa juste:
*De toutes façons je suis trop crevé pour revenir la voir. Si c'est pour qu'elle pète les plombs encore une fois... Je crois que je me fais des idées, elle doit être un peu schizophrène la pauvre.*

Une fois il avait rêvé d'un schizophrène quand il était enfermé, suite à une expérience bizarre consistant à savoir si il était capable au fond de recevoir des informations par télépathie, bref, un truc très tordu. Le malade était très dangereux et avait fait des choses horribles à une fille qu'il aimait beaucoup. Quand Coban s'était réveillé, il s'était retrouvé tout triste parce que la fille en question n'existait pas, du moins il ne l'avait jamais vue en vrai. Depuis, il se méfiait des gens qui changeaient de comportement...

Mais il vit Drey retomber.
*...Elle aussi elle est crevée.*

Il arqua un sourcil. Elle se rendort. Donc, "le démon" allait peut-être refaire surface. Mais si elle dormait vraiment..?
*Merde ça va pas recommencer! Puis elle a l'habitude d'être dehors, qu'elle y reste.*

Dans son fort intérieur en effet, il avait vraiment été atteint par les paroles de Drey. C'était donc son amour-propre, même si pour un garçon de treize ans il n'en avait pas beaucoup, qui avait été touché. Il avait envie de lui prouver qu'il n'était pas un trouillard. Mais c'est sûr il le savait, ça revenait au fait qu'il était stupide. Et le voilà assis par terre, surveillant la demoiselle au loin tout en réfléchissant à la meilleure chose à faire.
*Alors okay... Si je vais la voir c'est stupide mais courageux, si je rentre, c'est prudent mais trouillard... Et méchant. On laisse pas un fille inconsciente comme ça en plein clair de lune, elle va se faire.... Euh enlever...*

Il soupira.
-T'as gagné sale peste.

Il traîna des pieds jusqu'à elle, la souleva en la prenant sous les aisselles et la traîna par terre en passant par le petit pont qui permettait de traverser le ruisseau pour éviter qu'elle ne soit mouillée puis la coucha près d'un arbre, à l'abri de la lumière, dans un endroit où il y avait de la mousse pour que ce soit plus confortable. Il mit en tout une bonne demi-heure parce qu'il en pouvait plus, parce que ça l'énervait, parce que c'était plus convenant, parce que... Oui pour se motiver et justifier le temps que ça lui prenait, il cherchait des tas de raisons parfois récurrentes.

Une fois finit, il observa un peu le résultat. Ça faisait penser aux illustrations dans les contes de fées. Puis elle faisait moins peur les yeux clos la demoiselle. Il sourit juste et repartit.
-Bonne nuit Drey.